jeudi 14 novembre 2019

Aucun sens

Cela n'a plus aucun sens, en 2019, d'écrire un blog.
Les internautes (terme déjà désuet) passent leur chemin dès qu'il y a plus de trois lignes de texte sans photo ni vidéo. Quelques envolées lyriques apparaissent ici où là sur les réseaux sociaux mais on voit que ce n'est pas du tout formaté pour ça. C'est un calvaire à lire, sans paragraphes, parsemé d'émoticônes et de dièses (# et oui les amis c'est comme ça qu'on dit en Français #), et j'imagine le calvaire également pour le rédacteur, avec ses petits doigts sur son smartphone, surtout pour corriger les fautes inévitables sur ces pavés tactiles minuscules, ainsi que les mauvaises corrections automatiques.

Bref tout le monde s'en fout mais j'écris quand même. A l'époque où j'ai lancé cette page c'était une forme de partage entre initiés, je savais que peu tomberaient dessus par hasard, qu'encore moins liraient. Maintenant, écrire sur une page de la sorte c'est quasiment de l'ordre du journal intime même si c'est visible par tous. Le seul moyen de sortir de l'anonymat serait de tenir des propos subversifs associés à une liste de mots clés bien choisis pour que Big Brother y jette un oeil.

Pourquoi écrire aujourd'hui, plus de 7 ans après la dernière publication ?
Raison n°3, pour témoigner de ce qui a changé, pas grand-chose dans le fond même si je me fais peur à devenir - comme beaucoup que je critiquais encore il y a peu - smartphone-dépendant. On parle de l'effet délétère des écrans sur l'intellect des enfants mais l'homme moderne adulte est en train de se transformer en blob, shooté à la dopamine du "scrolling".
Raison n°2, parce que j'ai envie d'écrire et que si je le fais sur un autre support, cela disparaîtra, avec le cahier ou l'ordi sur lequel cela aura été écrit. Pourquoi à la vue de tous ? Parce que si j'ai envie de cacher quelque chose je ne le dirai pas ici, non ?
Raison n°1, parce que je suis retombé totalement par hasard sur mon blog en cherchant des infos sur la voie Les mains sales à Buoux. En googlant "les mains sales buoux 8b" et en recherchant dans les vidéos, le premier lien, je dis bien le premier, renvoyait sur ce blog.

La raison en est simple : dans ce blog il y a des vidéos, et on y trouve les mots clés cités, datant de ma dernière visite là-bas. Mais pourquoi le premier lien ? Simplement parce qu'il n'y a aucune vidéo de cette voie en ligne, bien qu'il s'agisse du premier 8b de France, d'une voie magnifique et dans une falaise magnifique.

7 ans, c'est donc l'intervalle entre mes deux dernières visites à Buoux. C'est effrayant comme cela passe vite. Je m'y suis pourtant senti comme si j'y avais été hier. Quelques voies sont apparues ou ont été rééquipées, quelques arbres ont été coupés au pied de certaines voies, on voit que l'érosion se poursuit sur le chemin, mais ce ne sont que des détails. Je me suis pris la même déconvenue qu'il y a plus de 10 ans dans les mouvements d'Azincourt, dans une montée de repérage très présomptueuse au regard de l'état de forme, du poids sur la balance, des conditions et du manque de sommeil du jour. En un sens c'était plutôt positif parce que je m'attendais à galérer davantage. Au point que cette voie, un des quelques rêves de ma vie de grimpeur, est repassée dans la catégorie du réalisable, et m'a remotivé pour m'astreindre à davantage d'hygiène de vie pour basculer cette fois  dans le domaine du concrétisable. Cela étant, ce n'est pas en écrivant n'importe quoi à 1h du mat comme je le fais que je vais y parvenir...

Bilan peu reluisant d'une semaine de grimpe quasi non-stop : La nuit du lézard, 8a+ péniblement soldé, en pleurant sur toutes les préhensions douloureuses et en tremblant dans les mouvements aléatoires, m'imaginant à la place d'Alain Robert en solo, et l'Homme programmé, 8a dalleux cadeau pour Buoux.
But douleur dans "Et Dieu créa l'infâme", 8a+ bien bloc dont j'ai fini par comprendre l'origine du nom, à cause d'un monodoigt sur 1.5 phalange à verrouiller, sans alternative au tractage d'amplitude sur pieds foireux dans du bon dévers. Si t'as pas bien le mono, tu peux même pas lâcher l'autre main, et si tu arrives à bien le rentrer, t'as pas envie de lâcher l'autre main tellement tu as mal... Ma petite victoire dans l'affaire aura été de ne pas tomber dans la longueur "d'approche" en 7b+ du Prophète est sur le parking, qui vaut aussi son pesant de cacahuètes.
But tout court dans Rêve de patates, variante de Rêve de Papillon qui continue la traversée à gauche pour rejoindre la sortie de Rêve de pâtes. La jonction consiste en 5 mouvement de relances et de ramenés sur tri-doigts semi arqués avec un pied moyen très haut (= fesses en arrière). Pour une fois le crux n'est pas douloureux pour la peau, mais on en viendrait presque à le regretter, car il n'y a rien pour verrouiller les doigts et aider à tenir ces préhensions fuyantes. Le + m'a semblé valoir son pesant de cacahuètes par rapport au 8a d'origine (quand on dit ça trop souvent - qu'une voie est difficile pour la cotation - c'est qu'on est nul).
But frustrant dans Les mains sales, voie précitée, où je tombe pété dans le réta de sortie, beau petit pas de bloc dans l'absolu mais qui, avec la préfatigue, et des capacités de récupération dignes d'un vrai bloqueur au niveau du repos qui précède, se transforme en débandade inesthétique. Je tombe les mains dans le réta, sans même pouvoir remonter les pieds au-dessus du toit, éjecté par les préhensions fuyantes. De toute façon je serais tombé au mouvement suivant, le dernier, à ramper en crapaud au-dessus du toit, pour d'abord remonter le deuxième pied, mettre du poids dessus, et enfin lâcher la main gauche pour atteindre la dernière prise. Avec les fesses bien en arrière et la fatigue, tu peux tomber dix fois sur ce mouvement si tu n'arrives pas à tenir suffisamment la main droite. Se jeter sur la main gauche est inutile, même si elle est correcte, faire le mouvement en dynamique est extrême : la prise d'arrivée ne fait pas le poids par rapport à l'inertie de l'arrière train.
Et pour finir, but blessure dans Gratton Labeur au secteur du bout du monde. Pour palier à la fatigue, au manque d'adhérence et surtout de force, je chargeais un pied correct très désaxé pour planter une lolotte de l'espace à laquelle le genou n'a pas résisté. Double crac sur ligament interne, douleur, retour au sol, instabilité du genou et grand moment de solitude. Pendant une semaine j'étais persuadé d'avoir rompu le croisé antérieur et devoir passer par la case bistouri, synonyme de trèèès longue convalescence. Je savais que j'en reviendrais certainement plus fort (tout le monde le dit, y compris Alex Puccio qui n'arrête pas de se péter les genoux), mais sur le coup cela se vit difficilement.
Bref, entre la douleur et le test du tiroir effectué par un pro, il ne semblait pas y avoir beaucoup de doute sur le diagnostic. Pourtant l'IRM a montré que le ligament interne n'était pas totalement rompu, et que le croisé était intact.
Depuis, même si la gêne est toujours présente, elle est beaucoup plus supportable. C'est comme si l'examen avait exercé un effet placebo. Au lieu de m'en réjouir, je suis déjà à me plaindre de nouveau : une vraie blessure  aurait été l'occasion de soigner cette épitrochléite (tendinite à l'intérieur du coude) qui ne s'améliore pas depuis 6 mois et empêche sérieusement de bourriner. Pas prêt de refaire la traction à un bras avec ça...

Ainsi s'achève ce billet depuis Paris, où je n'ai pas trouvé une nouvelle paire d'Anasazi Blanco au Vieux Campeur. Encore une bonne excuse...