vendredi 1 octobre 2021

"Un hommage amer" à l'Aulp du seuil (1/2)

 C’est par un message de Philippe Mussatto sur sa page FB que tout a commencé. Il cherchait des volontaires pour l’accompagner rééquiper un relais étrangement disparu dans la descente en rappel de Titanic au Grand Manti, une de ses voies. Il s’agissait de trimballer le perfo sur la moitié de la voie environ pour y accéder. Tim s’est proposé, il était partant mais pas pour une moitié d’ascension, tout comme moi. Est donc venue l’idée qu’on se charge de la mission de rééquipement nous-mêmes, mais en montant jusqu’en haut.

Titanic n’était pas ma première intention mais j’ai saisi l’opportunité de pouvoir parcourir un itinéraire de ce type, long et difficile, avec du « caractère ». Ce n’est pas si facile de trouver des potes de cordée, il y a ceux qui ne sont pas intéressés par les grandes voies difficiles et engagées, ceux qui ne sont jamais dispo au bon moment, ceux qui ont déjà fait. Il y a ceux qui sont intéressés mais qu’on ne connaît pas, et avec qui il est difficile d’envisager ce qui peut s’apparenter à une vraie course en montagne (avec quelques risques objectifs en moins), sans le préalable de la bonne entente et du niveau de confiance réciproque requis. Enfin il y a ceux qui ne savaient pas – jusqu’à aujourd’hui – que je ne m’intéressais pas qu’aux voies d’une seule longueur.

Après avoir réorienté le projet initial vers une voie qui me tenait bien plus à cœur, nous voilà donc début juillet au pied de l’Aulp du seuil après 1h d’approche, pour gravir « un hommage amer » avec Tim : le grand manti attendra encore un peu. Avant même de connaître cette voie, j’avais repéré ce pilier avec sa face si esthétique depuis la vallée du Grésivaudan. Il est plus de 10h du matin, c’est tard pour se donner des chances d’enchaîner, mais il fallait trouver un compromis entre le temps disponible et la météo : compliqué de grimper au soleil sur cette face orientée est en plein été. Et puis il y a aussi ce retard de 45minutes pour retourner chercher le baudrier oublié… Le soleil nous accompagne sur les 3 premières longueurs, suffisamment pour laisser des traces sur le physique et sur la peau.

Qu’est-ce qu’on sait à propos de cette voie avant de s’y lancer ? D’après le blog de Philippe :

« 10 longueurs, 250m, 8a+ max, 7b obl , E3 F2, II »

« Une belle grande voie dure, sur un rocher typique chartreuse toujours très bon, compact et proposant suivant les profils surmontés une escalade variée. Des gros surplombs, des murs rési, des dalles hyper finaudes… On peut lui reprocher son "zigzagisme" mais le final juste à droite du sommet vaut vraiment le coup, ainsi que le passage du gros surplomb digne de Céüse ! »



Aucun doute sur la beauté de l’itinéraire. Mais il reste à confronter la subjectivité de l’auteur à la nôtre concernant les cotations et l’engagement… Le 7c+ annoncé en entrée est très raide, un toit qui paraît petit à l’échelle de la paroi mais présente autant d’avancée que de hauteur, qu’on parcourt de surcroît en diagonale pour aggraver le dévers parcouru. La tentative à vue et sans échauffement échoue très rapidement. C’est dur, compliqué, poussiéreux, aucune trace des verrous indiqués, en tout cas pas pour les mains. Il faut donc diablement forcer. Une grosse écaille bien inquiétante, qu'on prend sur les bords pour ne pas l'arracher mais sur laquelle on est obligé de se pendre, n'aide pas à se décrisper. Le ton est donné sur le référentiel des cotations, pour rappeler qu’on n’est pas en Espagne ou en Grèce, mais bien à proximité de la Chambotte et autres secteurs du coin pour lesquels on peut lire dans le dernier topo « attention, les cotations sont plutôt sévères comme souvent en Savoie ».

Au pied, le soleil arrive


L1 plafonnique

Cette mise en bouche confirme qu’une réussite de toutes les longueurs à la journée sans préalablement très bien connaître est un objectif particulièrement ambitieux – surtout vu l’heure de départ –. Je prends tout de même le temps de repérer les méthodes et de faire un essai dans la foulée. Chaleur, pas assez reposé, je tombe, insiste de nouveau pour finalement réussir au 2 ou 3ème essai. Pas très malin comme stratégie. Nous voici dans la 2ème longueur. Ambiance et engagement dès le premier point, dans un mur vertical à l’aplomb de l’assureur : les longueurs moins difficiles, 7a+ en l'occurrence, ne seront pas de tout repos. Je pense avoir déjà fait la cotation annoncée quand arrive un gros pas de bloc à la fin – avec un jeté en dalle pour ce qui me concerne – à partir de prises particulièrement mauvaises. Il faut arquer les doigts, et le gros orteil…

Depuis le relais de L1

Tim dans L2 en 7a++

La 3ème est de nouveau une longueur courte en toit en 7c+, deux blocages dynamiques et un réta physique compliqué. Les points sont assez proches mais restent trop éloignés pour s’en sortir sans grimper si on n’a pas de perche. Une pédale dans le dernier point clipé et un crochet à goutte d’eau – impossible à caler – n’y font rien. On peut donc parler de mouvement obligatoire à la limite supérieure du 7ème degré. Je jette sur ce qui ressemble le plus à une prise et chute plusieurs fois avant de la tenir et réussir à placer la dégaine suivante. Toujours aussi optimiste ou prétentieux, je redescends au relais pour un essai. L’heure tourne et je pars de nouveau sans me reposer suffisamment, j’explose au rétablissement. Tant pis, on continuera sans perspective d’enchaînement.

Le sac de hissage remonte la L3

La stratégie dans les longueurs suivantes consiste à grimper jusqu’à la chute, puis de poursuivre en travaillant rapidement les mouvements manquants. A ce jeu-là, les échecs se succèdent dans le 8a et le 8a+ qui suivent, malgré des montées assez haut mais non récompensées, et des efforts intenses qui épuisent. Entre les deux, un 7a+ dans lequel il manque une plaquette sur un goujon, justement avant le crux de la longueur. Le point précédent est bien 5 mètres plus bas en diagonale, et 8 mètres sous les pieds se présente une dalle inclinée en guise de très mauvaise réception en cas de chute. Je saisis le crochet au baudrier pour le placer sur une prise, au mieux j’arrive à l’équilibrer sur une écaille qui ne supporterait pas le poids de la chute, et de toute façon le crochet sautera de lui-même avec le mouvement de la corde en montant. Une vieille corde statique effilochée pend devant moi, après quelques tentatives sans protection dans le mouvement dur je renonce, à contrecœur je saisis la corde en priant qu’elle ne cède pas sous mon poids et je rejoins le relais. Sans cette corde, j'aurais cherché à cravater la tige avec une cordelette, ou nous serions redescendus...

Tim à la sortie du grand dévers en 8a (L5)

Il s’avère que cette corde salvatrice était en même temps la fautive. Elle était reliée à la plaquette manquante par une dégaine, le vent a fait vibrer l’ensemble, provoquant le desserrage et la chute de l’écrou puis de la plaquette. Les relais s’enchaînent, souvent inconfortables. Au-dessus de celui qui marque la fin du 8a+, constitué d’un seul point complété par un piton hasardeux trop décalés l’un de l’autre, un 7a+ très corsé et pauvre en équipement finit d’entamer le moral. Le second non plus n’a pas vraiment droit à la chute dans les traversées. Ce 7a+ a dû être mal-aimé par son concepteur, souffrant d’être un itinéraire de repli avec son crochet vers la gauche, après l’avortement d’un tracé plus direct mais trop difficile, d’où dépassent encore des tiges filetées. Cela étant l’escalade est magnifique, variée. On s’attend à serrer des croûtes et à pousser fort sur les jambes, mais l’escalade est complète, il faut aussi bloquer bien haut !

Au loin le Mont Blanc

Jusqu’ici les difficultés étaient plutôt raides. Les trois dernières longueurs deviennent dalleuses, mais avec des passages qui restent physiques à cause des cannelures verticales qui obligent à monter les pieds très haut et à forcer en opposition. Entamé, avec des crampes à force de grimper et de tirer le sac de hissage, j’attaque le 7c sans conviction mais sans pression non plus, je rate l’enchaînement de peu à une zipette près.
Dans le 7c (L9)

Voici le dernier 8a, un vague dièdre très ouvert et arrondi, plutôt une ondulation. Fatigué, je tétanise tantôt d’une main, tantôt d’un mollet, mais j’arrive toujours à effectuer des micro-récupérations pour grapiller un mouvement après l’autre. A un moment, désespéré, je jette mon pied sur une pente inclinée à la hauteur du visage, je rampe pour me rétablir. C’était la bonne méthode ! Encore quelques difficultés et mouvements obligatoires avant d’arriver incrédule au relais.
Vue sur le dernier 8a (L10)

La dernière longueur est annoncée 7c+, porté par la réussite précédente je parviens aussi à l’enchaîner, je la trouve presque plus abordable que le 7c deux longueurs plus bas. Même s’il reste encore à redescendre, à pied en suivant les sangles, ces sentiers perchés sur des vires inclinées entre les étages des parois, la pression retombe et on peut enfin savourer le magnifique paysage.

Dans les derniers mouvements de la voie (L11)


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